jeudi 11 juin 2009

Justice

Dans notre monde, nous parlons souvent de justice. Justice des Hommes, des états, cour de justice et même justice divine. Mais laissez moi vous raconter d’où nous vient ce mot, cette notion, cette valeur.

Il y a bien longtemps, un peuple qui aujourd’hui n’a plus de nom, de lieu ni même de date d’existence, un peuple oublié, vénérait, parmi ses nombreux dieux, la déesse Justice. Justice était princesse chez les dieux. Fille de Suprême, le roi des dieux, elle avait un frère et une sœur, Courage et Noblesse. Justice était belle, jeune et, même s’il lui était arrivé de sévir, de tuer même quelques fois, elle avait encore le cœur pur. Elle venait d’un monde où les idées, ce que nous appelons aujourd’hui les valeurs, étaient absolues et elle ne comprenait pas pourquoi le sol sur lequel elle marchait était tantôt noir, tantôt blanc. Elle n’aimait pas les zones noires. Dès qu’elle s’y trouvait, l’animal en elle se réveillait, elle brandissait son épée et prise de fureurs, donnait des coups, blessant ou tuant les âmes qui s’y trouvaient. Les zones blanches étaient, par contre, bien plus agréables. Elle y aidait les méritants et s’y plaisait bien.
De temps en temps, son épée glissant de sa main tombait, écorchant au passage quelques âmes « innocentes » et sa robe blanche se tachait d’un peu de gris, ce qui la mettait fort en gène lorsqu’elle se rendait à la cour de son père.

Justice aimait la cour Suprême. Le sol y était tout blanc et les dieux qu’elle rencontrait étaient pleins de qualités. Elle recevait souvent des compliments à propos du travail accompli (bien qu’elle ne considérait aucunement qu’elle accomplissait un quelconque travail), ou de son accoutrement. Celui-ci était assez simple : une robe blanche, de temps en temps tachetée de gris, une épée qui ne quittait pas sa main droite, une balance lui servant à peser le pour et le contre dans sa main gauche et une coiffe trônant sur sa tête. Elle n’aimait pas beaucoup sa coiffe. Elle était lourde et manquait de beauté. Justice n’avait jamais osé l’enlever, depuis ce jour où, à la nuit des temps, son père l’avait faite princesse en prononçant les mots suivants, gravés à jamais dans sa mémoire :
« Justice ton nom sera
L’épée juste tu porteras
D’une balance tu pèseras
De la guerrière, la coiffe tu ne quitteras
Avec conscience ta tâche tu accompliras. »
Ces mots restaient un mystère pour Justice. Guerrière ? Tâche ? … Mais cela faisait bien longtemps qu’elle avait cessé de se poser ces questions.

Les temps passèrent et le peuple sans nom tomba dans l’oubli. Justice continuait sa vie sans se rendre compte que les dieux changeaient. Ra et ses dieux à tête d’animaux combattirent le dieu unique d’Akhenaton, Zeus et ses semblables se battirent contre les Géants, Jupiter courtisa Vénus, au dieu de Moïse s’ajouta celui de Jésus suivi de celui de Mahomet, Allah, chacun d’eux s’accoquinant de temps en temps avec Bouddha et ses semblables.

Sans qu’elle ne se rende compte, Justice se retrouva un jour les yeux bandés. Elle ne pouvait pas voir que dans sa main gauche les livres des Hommes remplaçaient désormais la balance des dieux, que son épée se couvrait du sang coagulé des âmes tuées, que sa robe n’avait plus du blanc que le souvenir. La seule chose dont elle pouvait se rendre compte était que sa coiffe de guerrière pesait de plus en plus lourd. Justice ignorait même qu’elle avait des représentants chez les Hommes qui ne représentaient rien d’autre que leurs propres intérêts.

C’est à se demander si la justice doit vraiment être aveugle.

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