mardi 23 juin 2009

Fatima et la bête

Pièce de théâtre moderne en trois actes inspirée du récit d’Othello de Shakespeare. Dion, un lieutenant de la marine française, établi en Martinique depuis un mois, fait la rencontre de la belle Fatima, archéologue et anthropologue Turque. Leurs vies se croisent, leurs destins s’entremêlent, et Dion, aveuglé et déstabilisé par son amour pour Fatima, commet une faute irréversible qui les mène tous deux à leurs défaites.

Extrait du texte 

Dion : Pourquoi ? Je t’en supplie, dis-le moi ! Pourquoi tu es venue ici?

Fatima : (l’ignorant) Le soleil est irrésistible, tu ne trouves pas ? Ce coucher de soleil le long de l’horizon, avec cet océan et ses couleurs bleuâtres et roses, c’est vraiment un rêve tu sais !

(un silence)

Quand j’étais dans l’avion entre Istanbul et Trinidad, je m’imaginais au bord de l’eau quelque part, avec un verre dans la main, un martini, comme celui-ci, et je rêvais d’être dans la présence d’un grand homme, un homme de bonne situation, quelqu’un d’intelligent et de beau, de musclé, un homme avec la peau rugueuse et noircie par le soleil, o ! ta peau…si sombre et enivrante…je pourrais l’aspirer ! je pourrais la croquer…

(un silence)

Pourquoi ? Tu me demandes pourquoi être venu jusqu’ici avec une seule valise à la main ? Et bien je vais enfin te le dire, mais… Mais il faut que tu me promettes de ne rien dire. Tu dois garder mon secret. Tu dois jurer de ne rien dire, d’accord ?

 Dion : Je te le jure.

 Fatima : Je risque la prison, tu sais...

 Dion : Mais –

 Fatima : (elle couvre sa bouche d’un geste vif) Shhttttt… Écoute-moi, s’il te plait !…C’est un samedi, à Istanbul, dans mon quartier de Galata. Je sors de l’immeuble de mon père pour entamer mes courses du samedi. Cela fait déjà un an que mon pauvre mari imbécile, Alphonse, m’a plaqué pour une autre… Une pauvre pute russe qu’il a rencontré dans une boîte de nuit…me laissant la responsabilité de nos six enfants : trois des siens d’un autre mariage, deux des miens de mon premier mariage avec mon mari chéri Nabil,  il est décédé et que Dieu le protège, Inshallah !... et la petite Cynthia, le fruit sacré de notre liaison nuptuale…

 Dion : (va pour l’interrompre) Je –

 Fatima : S’il te plait ! Ne me coupe pas la parole ! J’ai horreur de ça !

 Dion : Pardon.

Fatima : Excuse moi…Parfois…J’ai…J’ai des entrains d’irritabilité…Excuse-moi…

 Dion : Ce n’est pas grave. Continue.

 Fatima : Je disais ?

 Dion : Ta fille ? Cynthia ?

 Fatima : Oui…Alors Cynthia, c’est notre fille, à Alphonse et moi. Et bien, ce samedi-là, je sors de ma maison, après une longue semaine d’enseignement, je suis fatiguée, j’en ai mare des gosses, je traîne une de ces colères…Et du coup, je laisse tomber les courses et je prends un autre chemin. Je marche. Je ne sais plus où je vais. Il est onze heure du matin quand j’arrive de l’autre côté du Bosphore, devant la mosquée bleue, et je ne sais pas ce qui me prend. C’est comme si mon corps est habité d’un autre esprit, comme si je plane en dehors de moi-même. Je me vois rentrer dans la mosquée. Je vais du côté des femmes, je choisis une femme au hasard qui prie toute seule, j’attends qu’elle finisse, et je la suis jusqu’à sa voiture. Ensuite je me mets à pleurer, à me tourmenter, lui demandant son aide. Je fais une grosse scène et je baratine une histoire sans fin, et elle fini par me faire monter dans sa voiture. Elle me ramène dans une vieille maison abandonnée que je lui fais croire est la mienne, et là, je l’oblige à boire une bouteille d’eau remplie de somnifères. Je ne sais pas ce qui me prend ! Je ne sais même pas comment les somnifères finissent dans mon sac ! Et ce que je fais ensuite…C’est horrible ! Je lui arrache les vêtements, je lui vole son sac, je prends tout, ses bijoux, sa montre… Et je m’enfuis ! Je la laisse à poil au fond de cette maison pourrie, endormie, peut-être même mourante, comme un cadavre abandonné par son prédateur. À la maison…En voyant les yeux curieux de ma petite Cynthia…C’est comme si je me réveille, comme un somnambule, je me réveille…Et je comprends ce que je viens de faire. C’est comme une lame qui transperce mon ventre. Je suis inondée d’un sentiment de remords et de culpabilité. Et je panique ! Je prends la petite Cynthia par la main, je la dépose chez son grand-père, et je pars toute suite à l’aéroport. Je prends le premier vol disponible, c’est pour Trinidad, je prends le bateau jusqu’en Martinique et me voici maintenant, travaillant à L’Hôtel des Couronnes Anglaises. Je suis tout à fait rongée de remords ! Je ne peux plus endurer cette pesanteur! Il n’y a que ta peau et ton odeur qui me réconforte et me donne espoir ! O Dion ! S’il te plait ! Serre-moi contre toi ! Serre-moi contre ton corps luisant et chaud, emporte-moi ailleurs…Donne-moi un deuxième souffle ! Une deuxième chance ! Sinon je meure !...

 

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