jeudi 2 juillet 2009

Tête en l'air

La vie de Julien
Mars 2009

Julien est tête en l’air.
Il craint de se perdre, de perdre ses clés, comme il en a l’habitude, d’arriver en retard… Il a donc pris le pli de courir vers la douche dès le lever du jour puis de porter les habits choisis et pliés la veille, avant de courir pour attraper un taxi au croisement des chemins sous son immeuble.
Dans l’auto jaune qui le conduit à son travail, il voit défiler, chaque matin le même paysage. Celui de la frénésie matinale. Ici, dans la métropole, on croise de tout dès l’aube. C’est un melting pot de gens et de situations. Julien s’intéresse beaucoup à ces individus qui arpentent les rues à pied. Ils savent eux gérer leur temps. Voilà son voisin Youssef qui a décidé que d’ici 2013 tout le monde devra marcher ou utiliser des moyens de transport non-polluants, Il a peut être raison, Youssef. Le regard de Julien fixe le jeune homme paralysé qui traverse la route à l’arrêt. Julien pense à sa douleur, à la difficulté de l’existence, à son handicap. Mais il a beau chercher en scrutant à l’arrière de la fenêtre du taxi jaune, le jeune homme sur sa chaise a l’air très épanoui, heureux de vivre. Et d’un seul coup il se sent égoïste, idiot, ingrat des atouts qu’il a et qu’il méprise. Dans cette trajectoire en damiers qui semble s’éterniser, il entrevoit l’enceinte bleue et rouge de son restaurant préféré. La dernière fois quand il y était, il avait croisé son premier amour, Mia, qui en le saluant lui avait susurré très tard le soir, « je t’attends » la phrase résonne encore mais son écho se fait toujours attendre.
Le voilà arrivé à cette entreprise multinationale au chiffre d’affaire colossal. Il y passe l’essentiel de ces jours, des heures du jour, celle de la semaine, celle du mois. Pourtant, rien n’y fait, il ne se sent toujours pas dans son élément, il n’a aucun sentiment d’appartenance à cet univers au capitalisme insatiable. Le PDG est le prototype du nouveau-riche, évidement de droite pour mieux donner raison à l’ancienneté de sa position sociale. Fouad Bourvil ou Bourdonvil comme le surnomme les employés de la boite, a coutume d’imposer ces caprices en dernière minute et de façon draconienne, puis il se place en avant-scène des projets comme si qu’il en avait la tête pensante. Avec le nombre d’années passées dans cette entreprise, Big Boss restera toujours aussi antipathique et incolore qu’il ne lui a semblé le jour de son entretien d’embauche.
A la réception, Leila, accueillante et souriante dans ce monde où seul le pouvoir et l’argent sont de rigueur. Aujourd’hui elle complimente Julien sur son pardessus marron et s’esclaffe quand, en parfait gentleman, il lui retourne les compliments.
Deux heures se sont écoulées depuis le lever de son lit moelleux à six heures du matin, quelques heures le séparent de la cuite de la veille et Julien a encore du mal à s’adapter.
Alors, il se concentre, observe soigneusement le chemin qui le mène à l’ascenseur qui le conduira chez Fouad, le PDG imbu de lui-même. Huit dalles qui le mènent à un meeting qu’il appréhende. C’est l’heure de la récapitulation, l’heure du jugement dernier, celle qui vient apporter la décision des Uppers sur le long et périlleux travail du staff dont Julien est le responsable. Trois mois qu’ils travaillent ensemble sur ce projet, trois mois à créer une firme de A à Z, d’étudier des contrats stipulant dans la forme des droits et dans le fond, une plus-value. Il a dû boire hier soir avec les collègues pour déstresser. Mais 8h30 sonne le glas d’une insouciance artificielle. C’est l’heure du verdict…La douce Leila prend des allures de cerbère et l’ascenseur devient un entonnoir vers l’enfer. Il frémit à l’idée de se retrouver dans la même salle que cet individu pompeux qui ne le considère que comme un outil d’exploitation. Le voilà arrivé dans ce bureau ovale aux allures d’amphithéâtre. Bourdonvil trône dans son fauteuil en cuir noir, la fumée de son cigare cubain imposant un brouillard dans la pièce, et le regard dans un hors champs…Julien est debout mais il ne le voit pas… il lui parle sans vraiment lui parler…le ton de sa voix est saccadé comme des touches sur un clavier. Il trouve à redire, c’est jamais parfait avec Bourdonvil, d’où son autre trait de caractère la prévisibilité.
Julien est debout, mais il a l’impression oppressante d’être à plat ventre, de n’être plus que le vassal victime des caprices de son maître et il a le sentiment aliénant de ne plus être…
Pendant que BigBoss marmonne ses reproches sur un ton condescendant… Julien rêve :
Il s’imagine plein de fougue, il se voit rebelle, il s’entend crier si fort qu’il fera sursauter ce gros tas laxiste de sur son trône, il a une envie folle de lui arracher ce cigare de ses doigts dodus et de lui briser ce symbole phallique asphyxiant, de s’agiter le poing levé, de manifester son mécontentement, de présenter sa démission en claquant la porte si brusquement que tout les employés de la boite se rappelleront de la révolte de Julien.
Oui…mais aujourd’hui il ne fera rien hormis le fait de satisfaire son supérieur et de recommencer son travail demain peut-être qu’il concrétisera son rêve de rébellion…oui, demain il aura du cran.

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